Prévention en matière de civilité : la force du face à face

27-01-2021
Depuis le 12 juin 2018, les entreprises sont dans l’obligation de se conformer à de nouvelles dispositions inscrites dans la Loi sur les normes du travail (LNT). Depuis le 1er janvier 2019, il incombe à tout employeur de s’engager formellement envers ses employés en matière de prévention du harcèlement au travail, et ce, par l’intermédiaire d’une politique. En plus de s’engager à prendre les moyens nécessaires pour prévenir le harcèlement psychologique et sexuel, l’employeur doit s’engager à traiter les plaintes portées à son attention.
Rédigé par :
Mathieu Beaufort, CRHA
Pratiques RH, bonnes pratiques, prévention du harcèlement, psychologique, sexuel, CRHA,  force du face à face

Au-delà des obligations légales

Concrètement, l’obligation de l’employeur de prévenir et gérer toute situation de harcèlement portée à sa connaissance n’est pas nouvelle. L’obligation de l’employeur en matière de harcèlement psychologique est une obligation de moyens. Il faut comprendre par cette obligation que « l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser » (LNT, art. 81.19). Cette obligation peut paraître floue et difficile à circonscrire. C’est toutefois une opportunité intéressante pour les employeurs d’aller plus loin que lesdites obligations.

Cette opportunité est celle de s’engager formellement devant les employés à propos de l’importance du respect et de la civilité dans l’organisation. Un tel engagement ajoute une note de sérieux et est bien plus que symbolique. C’est le moment pour les employeurs d’exprimer haut et fort que le respect est une valeur fondamentale dans l’entreprise. C’est le moment d’exiger des gestionnaires qu’ils soient exemplaires dans leurs interactions avec leurs employés au quotidien. C’est aussi le moment de mettre en évidence qu’ils ne toléreront aucun comportement, parole, geste ou acte s’apparentant, de près ou de loin, à du harcèlement psychologique ou sexuel, sans pour autant attendre le dépôt d’une plainte par l’employé. Plusieurs moyens très concrets sont intéressants à mettre en œuvre dans les organisations, peu importe la taille de celles-ci.

Le pouvoir du « face à face »

Afin de faire connaître leur nouvelle politique, plusieurs employeurs choisiront de rencontrer leurs employés en masse et de prendre le temps de lire avec eux ce document. Certes, cette manière de procéder permet de faire connaître les attentes et les mécanismes en place en cas de problème.

Toutefois, lors de ce genre de rencontres, la communication est bien souvent unidirectionnelle. Les employés n’ont pas l’opportunité d’exposer leurs préoccupations ou des irritants vécus dans leur milieu, qu’ils soient d’actualité ou passés. De plus, dans les organisations où le climat de travail laisse à désirer, il s’agit d’une tribune permettant aux « leaders négatifs » de prendre un rôle actif, et ce, pour des raisons contraires au bien-fondé de la politique qui fait l’objet de la rencontre.

Pour avoir un effet immédiat et qui crée un climat propice aux échanges structurés, il est intéressant de diffuser les éléments prévus dans la nouvelle politique par l’intermédiaire de rencontres en petits groupes. Dans ces groupes d’échange, le présentateur est souvent en mesure d’aller beaucoup plus loin dans ses explications et peut démystifier plusieurs concepts parallèles et connexes au harcèlement psychologique et sexuel. Lors de la rencontre, il peut expliquer les principales différences qui existent entre le harcèlement et le conflit, par exemple. Il peut aussi déconstruire certains mythes ou aborder des problématiques contemporaines dans le milieu de travail en s’assurant de respecter les impératifs de confidentialité.

Il est approprié d’utiliser cette tribune pour poser des questions concrètes aux employés présents, telles que : « Selon vous, qu’est-ce que le harcèlement psychologique, et comment se manifeste-t-il? » Ou encore : « Comment définissons-nous le droit de gérance de l’employeur et comment peut-il être exercé de manière abusive? »

La présentation d’études de cas tirés de la jurisprudence permet de parfaire la compréhension des concepts définis dans la politique de gestion. Grâce à des extraits de décisions phares, l’employé peut mieux cerner comment les tribunaux déterminent s’il y a harcèlement ou non dans le cas d’une plainte qui s’avère fondée. Pour complémenter la rencontre et varier les stimuli, il est approprié de présenter une ou plusieurs capsules vidéo interactives, comme celles développées par la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité du travail (CNESST). Ces capsules présentent des cas très concrets qui illustrent des situations tirées de la vie courante et qui ne laisseront certainement pas les employés indifférents.

Dans les entreprises syndiquées, l’engagement du syndicat local dans ce genre d’activité est un facteur de succès indéniable. Afin d’être efficace et pour que cette initiative soit pérenne, l’élaboration de messages communs entre les parties patronale et syndicale renforce nettement l’effet d’une telle rencontre. À la fin d’un tel exercice, les employés sont en mesure de bien comprendre les dispositions qui s’appliquent, mais surtout les moyens à leur disposition s’ils sont confrontés à l’incivilité en milieu de travail.

Le rôle de l’animateur : la vigilance est de mise

Le rôle qu’assume l’animateur lors de ces rencontres interactives est central et capital, et l’agilité est de mise. Les sujets entourant les relations interpersonnelles au travail engendrent naturellement de vives réactions dans l’auditoire. Les gens ont nécessairement une histoire à raconter. Par contre, cette activité n’est certainement pas le moment propice pour régler des situations personnelles, parfois confidentielles, en public. Toute intervention de type « lavage de linge sale » ne doit pas être permise, même si les sujets provoquent des émotions intenses. L’animateur doit donc guider les interventions des participants s’il perçoit que l’un d’entre eux aborde une situation personnelle. Ainsi, il évite que se produisent des tensions interpersonnelles, des escalades et des débordements.

L’animateur doit prévenir ce genre d’interventions en mettant la table adéquatement en début de rencontre avec les employés. Un moyen efficace de mettre ces conditions de succès en place est de nommer les « règles du jeu » dès le lancement de l’atelier. Aussi, il est opportun d’expliquer que toutes les situations personnelles doivent impérativement être réglées en toute confidentialité auprès d’un gestionnaire ou d’une ressource disponible dans l’organisation.

La promotion de la proactivité et des méthodes informelles

Il est connu que les employeurs ont l’obligation de mettre en place un mécanisme de traitement des plaintes de harcèlement par l’intermédiaire de leur politique organisationnelle. Ce mécanisme doit être connu de tous et facile d’accès pour les personnes vivant des situations difficiles. Par contre, est-ce qu’une plainte doit nécessairement engendrer une séquence d’étapes administratives pour qu’une situation déclarée soit prise en charge adéquatement? Bien sûr que non!

Il est faux de penser que chaque plaignant qui rapporte un problème souhaite qu’une enquête soit absolument menée et qu’on lance une série de rencontres très formelles. Plusieurs plaignants souhaitent principalement que la situation vécue cesse le plus rapidement et efficacement possible. Suite au processus, les plaignants doivent continuer à vivre dans l’écosystème de leur organisation et ils doivent maintenir des relations avec leurs collègues et gestionnaires pour leur permettre d’accomplir leur contrat de travail.

De ce fait, il existe plusieurs moyens alternatifs de résolution des conflits ou des problématiques interpersonnels, notamment les rencontres de mise au point, la médiation interpersonnelle, les interventions de prévention, etc. Bien des conflits interpersonnels débutent par des échanges mal compris, par des propos mal interprétés ou par des rumeurs non fondées. Une rencontre de mise au point, assistée d’un professionnel en la matière, permet de mettre respectueusement cartes sur table et de rétablir la relation de manière durable.

Par contre, pour mettre de l’avant des conditions favorables au succès d’une telle démarche, un dénominateur commun existe : la proactivité des parties. L’employé inconfortable face à l’incivilité d’un collègue a tout avantage à en faire rapidement mention à un gestionnaire ou à son conseiller en ressources humaines pour entamer les démarches avant que la situation dégénère.

Appel à l’action

En conclusion, l’entrée en vigueur d’une nouvelle politique de respect de la personne, tout comme la mise en œuvre d’activités de prévention en matière de civilité, n’ont pas à être abordées sous l’angle du drame ou de la monotonie. Le dynamisme et les interactions sont de mise pour que les actions mises de l’avant laissent des traces positives dans l’entreprise. Chaque gestionnaire ou intervenant en gestion des ressources humaines peut jouer un rôle actif pour créer une conscientisation collective en matière de civilité. Parce que le respect au travail, ça va bien plus loin qu’une simple politique.


Pour en savoir plus

Capsules vidéo interactives de la CNESST disponible dans notre boite à outils.

 
Source : Revue RH, volume 22, numéro 4, octobre/novembre/décembre 2019.
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