Le soutien aux proches aidants comme outil de rétention

02-11-2020
Saviez-vous que près du tiers de vos employés occupent également la fonction de proche aidant ? Découvrez quelles pratiques mettre en place afin de les soutenir dans une optique de conciliation travail et proche aidance […]
Rédigé par :
Mélanie Perroux, Directrice générale du Regroupement des aidants naturels du Québec
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Savez-vous qu’environ 30% de vos employé(e)s ont un second emploi1? Il s’agit, en effet pour beaucoup d’entre eux, du travail invisible qu’ils effectuent à titre de personnes proches aidantes. Qu’ils soutiennent psychologiquement leurs parents âgés en perte d’autonomie, leur conjoint(e) atteint(e) d’un cancer, leur enfant ayant un trouble de santé mentale ou leur ami(e) en fauteuil roulant, cela représente plus de 5 heures par semaine ajoutée à leur charge de travail. Par ailleurs, 20% d’entre elles soutiennent plus que deux personnes, jouant leur rôle ainsi plus de 20h par semaine2. Qui sont ces personnes proches aidantes? Comment ce rôle influence leur travail et l’entreprise? Quels sont les avantages à les soutenir et comment le faire?

Des personnes proches aidantes employées compétentes et dévouées

Malgré les lourdes responsabilités des personnes proches aidantes (PPA), la plupart d’entre elles souhaitent travailler : 57% d’entre elles sont sur le marché du travail. Bien que les PPA sont encore majoritairement des femmes, ces dernières peuvent être autant agente de bureau que cadre. Pour elles le travail n’est pas seulement une question de salaire, c’est aussi une opportunité de développer un sentiment de compétence, d’être valorisée, de maintenir une identité différente de celle de proche aidant, et la possibilité de briser l’isolement. C’est pourquoi, les PPA- employées sont souvent des collègues dévoué-e-s qui apprécient le travail d’équipe, des employé-e-s formé-e-s et organisé-e-s qui apprécient d’atteindre les objectifs fixés

Pourtant, la majorité d’entre elles devront à un moment quitter précipitamment une réunion, car leur parent âgé a fait une chute, prendre 1 journée de congé pour accompagner leur proche à une consultation médicale, ou être en arrêt de travail, trop épuisé après un épisode intense de soutien. Pour la plupart, elles utilisent la totalité de leurs congés annuels pour prendre soin de la personne aidée ce qui ne leur permet pas de se reposer et elles auront besoin d’encore plusieurs jours de plus.

Pourquoi soutenir les personnes proches aidantes employées?

La conciliation travail-famille constitue l’une des plus importantes solutions pour l’attraction et la rétention des talents en plus d’être bénéfique tant pour PPA que pour les employeurs.

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Environ 9% des PPA quittent définitivement leur emploi3 du fait de ce rôle additionnel, apporter des mesures de conciliation proche aidance travail favorise donc la rétention des employé(e)s. C’est aussi un moyen de diminuer le présentéisme et l’absentéisme, et d’être capable de prévoir certaines absences et donc de les organiser collectivement. De plus, se sentir soutenue tant par ses employeurs que ses collègues favorise l’engagement envers son travail et réduit les conflits. Au final, les entreprises qui ont sauté le pas voient plus de bénéfices que de contraintes4. Ces effets positifs sont visibles chez l’employé(e) qui a un meilleur engagement envers l’entreprise, une plus grande loyauté et une réduction du stress. Mais la conciliation proche aidance travail bénéficie aussi à l’entreprise en réduisant le taux de roulement, les couts associés à l’absentéisme.

La loi des normes du travail permet déjà aux employés de bénéficier de 2 jours rémunérés de congé et 8 jours non rémunérés. Il existe aussi des prestations canadiennes de 15 semaines pour les proches aidants s’occupant d’une personne avec une maladie ou une blessure grave et une prestation de compassion de 26 semaines pour les proches aidants d’une personne en fin de vie. Cependant, ces mesures ne sont pas suffisantes. On le voit, les PPA ont besoin de temps, de flexibilité et de soutien.

Si un(e) employé(e) me demande des accommodements, je vais dire oui. Est-ce suffisant?

Bien sûr que pour la PPA employée, votre ouverture à le ou la soutenir va faire une différence,mais il est important de tenir compte de 3 réalités. La première est le risque de conflits entre les collègues. Voyant que la PPA s’absente sans conséquence, ou obtient des accommodements, à leurs yeux sans raison, peut apporter son lot de tensions. Or plusieurs PPA sont réticentes à ce que leur statut de proche aidant soit connu de leurs collègues par crainte de stigmatisation, par peur de ne pas se faire offrir une promotion, mais aussi pour conserver un lieu où l’on ne parlera pas de proche aidance.

Deuxièmement, la tendance naturelle pour les accommodements est de favoriser les employé(e)s qu’on estime méritants. Or, la proche aidance entraine des absences, des départs inopinés, des préoccupations qui font que la PPA peut ponctuellement être moins réceptive dans son travail. À la lumière de ces paramètres, elles sont moins susceptibles d’être considérées comme des employé(e)s fiable, quand bien même leurs résultats sont importants. Enfin, seulement 5% des PPA se reconnaissent comme telles et vont chercher du soutien donc il est probable qu’en tant qu’employeur, vous ne connaissiez pas toutes les PPA employées qui travaillent pour vous.

Troisièmement, les PPA employées se sentent gênées de devoir demander encore et toujours des accommodements souvent temporaires. Elles culpabilisent de leur absence ou de leur manque ponctuel de productivité, tant envers leur employeur que leurs collègues. Elles sont souvent ramenées vers le fait que des mesures de conciliation sont disponibles pour les obligations familiales, sous-entendu leurs enfants et donc qu’elles pourraient les utiliser, mais les besoins d’une PPA sont différents des besoins des parents. De plus, un tiers appartient à la génération sandwich, c’est-à-dire qu’elles ont des enfants à charge en plus d’être proche aidante.

C’est pourquoi une politique de conciliation famille-travail, incluant les responsabilités de proche aidance, est une avenue à privilégier. Permettant la sensibilisation des employé(e)s et de leurs supérieurs, elles permettraient que les PPA déculpabilisent d’utiliser les mesures qui leur permettent de maximiser leur présence au travail, tout en garantissant un traitement égal entre chacun, une réduction de la stigmatisation et la possibilité de garder confidentielle la situation, si telle est la volonté de la PPA. Pour les supérieurs immédiats, une telle politique donne des balises claires qui permettent de prendre des décisions rapides et éclairées, tout en réduisant le risque de conflits.

Quelles mesures mettre en place pour les soutenir?

Déboulonnons déjà un mythe : toutes les mesures n’ont pas forcément un coût pour l’entreprise5. Comme dit précédemment, les PPA ont besoin de temps, mais aussi de flexibilité, de répit et de soutien.

En fonction de sa capacité, chaque entreprise pourra adapter son offre. Permettre une flexibilité dans les horaires, par exemple en permettant que la pause repas soit décalée pour permettre à la personne proche aidante de faire un téléphone urgent, offrir la possibilité du télétravail, les horaires comprimés sont des mesures peu couteuses. D’autres mesures peuvent aussi être mises en place, comme les consultations médicales sur le lieu de travail, ou l’instauration d’un fonds d’aide aux employés. Au Regroupement des aidants naturels du Québec, nous avons élaboré différents outils de sensibilisation et d’information (vidéo, dépliant, affiche, guide), tant pour les personnes proches aidantes employées que pour les employeurs. Nous proposons d’ailleurs des conférences pour mieux vous et les aider à comprendre le phénomène et les mesures de soutien.

Pour répondre au besoin de répit, et de soutien administratif, et psychosocial, il existe à travers tout le Québec de nombreux organismes qui offrent quotidiennement des services gratuits ou à moindres couts aux personnes proches aidantes, qu’elles s’occupent d’une personne vieillissante, d’un adulte ou d’un enfant malade ou avec des incapacités. Référer les personnes proches aidantes vers ces organismes, c’est aussi leur permettre de mieux comprendre leur situation et les outils pour y faire face. D’ailleurs, en tant qu’employeurs, n’hésitez pas à solliciter ces organismes, qui seront ravis de pouvoir expliquer à vos équipes les réalités vécues par les personnes proches aidantes.


Références
1. Fast J. Caregiving for Older Adults with Disabilities: Present Costs, Future Challenges. Institut de recherche en politiques publiques. 2015.Disponible à: http://irpp.org/fr/research-studies/caregiving-for-older-adults-with-disabilities-present-costs-future-challenges/
2. Institut de la Statistique du Québec. Coup d’œil sociodémographique. Portrait des proches aidants et les conséquences de leurs responsabilités d’aidant. Conditions de Vie. nov 2014;(43). Disponible à: http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/bulletins/coupdoeil-no43.pdf
3. CIME. Guide sur la proche aidance et l’emploi dédié au personnel d’intervention en employabilité [Internet]. Centre d’intégration au marché de l’emploi. Disponible à: https://cime-emploi.com/publications/guide-sur-la-proche-aidance-et-lemploi-dedie-au-personnel-dintervention-en-employabilite/
4. Mélanie Gagnon, Catherine Beaudry. Les préjugés des employeurs comme frein majeur à la conciliation travail-famille-soins des employés aidants. Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. 2020. Disponible à : https://ordrecrha.org/ressources/science-rh/articles/2019/02/prejuges-employeurs-frein-conciliation-travail-famille-soins
5. Mélanie Gagnon, Catherine Beaudry, Jenny Boies. L’amélioration des conditions de travail des aidants par le prisme de la conciliation des temps sociaux : vecteur d’un meilleur climat organisationnel et de la rétention des employés. Ad machina: l’avenir de l’humain au travail. 1 déc 2018;1(2):19‑34. Disponible à: http://revues.uqac.ca/index.php/ad_machina/article/view/915