Le phénomène de victimisation

18-09-2020
Vous avez une employée qui se dit victime de harcèlement alors que sa supérieure vous mentionne qu’elle doit continuellement la discipliner et que cette employée fait preuve d’insubordination […]
Rédigé par :
Philippe Dion et Élaine Léger, FASKEN
Pratiques RH, bonnes pratiques, prévention harcèlement, harcèlement psychologique, harcèlement sexuel, milieu de travail, phénomène de victimisation

Comment un employeur peut-il être en mesure de faire la différence entre un réel cas de harcèlement psychologique et le phénomène de la victimisation?

Vous avez une employée qui se dit victime de harcèlement alors que sa supérieure vous mentionne qu’elle doit continuellement la discipliner et que cette employée fait preuve d’insubordination. Pas toujours facile de s’y retrouver…

Voici un bel exemple qui démontre à quel point il peut être parfois difficile de déterminer quelle partie a raison:

Une employée prétend que, depuis que son service est regroupé avec un autre service dans le même lieu, elle vit dans un climat de travail dans lequel une tension s’est installée entre elle, sa supérieure et ses collègues. Pourtant, vous avez rencontré sa gestionnaire et selon cette dernière, c’est plutôt la salariée qui adopte un comportement hostile à son égard et qui fait preuve d’insubordination.

Ainsi, la gestionnaire vous rapporte que la salariée refuse de collaborer avec ses collègues et qu’elle adopte un comportement agressif, ayant mené à plusieurs incidents tels que le dénigrement public du service, des propos irrespectueux et de l’intimidation. La supérieure prétend donc que cette employée s’est donc elle-même isolée du reste de ses collègues de par ses colères et ses sautes d’humeur imprévisibles.

En appliquant quel critère l’employeur, ou ultimement le tribunal ou décideur sera-t-il en mesure de déterminer si l’employée a subi du harcèlement psychologique?

Comme on le rappelle dans la décision Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) et Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières (Syndicat des infirmières et infirmiers Mauricie—Coeur-du-Québec), il s’agit d’« apprécier la situation dans une perspective globale, à partir du point de vue objectif de la victime présumée, c’est-à-dire en fonction de la notion de ̎ personne raisonnable placée dans la même situation ̎ »1.

Après avoir entendu la preuve, l’arbitre conclut que les agissements de la supérieure de la plaignante étaient amplement justifiés puisqu’ils visaient à corriger le comportement répréhensible de cette dernière et son attitude néfaste avec ses collègues. Celle-ci ne faisait qu’exercer son pouvoir de direction et de contrôle. En appui à ses conclusions, l’arbitre énonce la démarche applicable afin de reconnaître le phénomène de la victimisation et le définit ainsi :

Contenu supplémentaire

«Il est plus facile de distinguer les situations de victimisation et de harcèlement véritable en appliquant le critère objectif de la personne raisonnable, diligente et prudente, placée dans la même situation que la victime présumée.

Outre que dans les cas de victimisation, il y a manque de gravité ou exagération de la conduite vexatoire dénoncée, il y a l’absence d’hostilité réelle du harceleur présumé et l’absence de volonté de la victime présumée de trouver une issue à la situation dont elle se plaint. Cette dernière se complaît dans le statut de victime qu’elle a créé et qu’elle entretient, sans chercher à le quitter, parce que cela lui permet de se soustraire à ses responsabilités. La personne qui adopte un comportement de victimisation se reconnaît d’ailleurs souvent par une absence totale d’autocritique.2

En somme, le pouvoir d’intervention de l’employeur reste un exercice discrétionnaire et pour qu’il devienne une source de harcèlement psychologique, il doit répondre aux exigences de la Loi sur les normes du travail. Dans l’affaire donnée en exemple, l’employeur représenté par la supérieure immédiate de la plaignante a seulement exercé son pouvoir de direction et de contrôle. Il a ainsi rempli son obligation de faire cesser tout harcèlement et d’éviter que le milieu de travail ne devienne néfaste. Encore une fois, le droit de gérance de l’employeur ne peut être assimilé à du harcèlement psychologique si celui-ci n’est pas exercé de façon abusive et s’il est appliqué de façon uniforme.


Références

1. [2006] R.J.D.T. 397, par. 188.
2. Id., par. 234 et 235.